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Les Causeries de Bellaciao

Bellaciao - Sabina Guzzanti

mercredi 14 décembre 2005

Interview (en italien) de Sabina Guzzanti du 14 décembre 2005 à l’occasion de la sortie en France du film "Viva Zapatero !"

Ecoutez l’émission !

Date de sortie : 21 décembre 2005

Suite au partenariat entre, Haut et Court, Bellaciao.org et L’Italie à Paris, GAGNEZ DES PLACES en répondant à trois questions !

Paris, 14 décembre 2005, Hôtel de Noailles, rue de la Michodière.<

Nous rencontrons Sabina Guzzanti, Viviana, son attachée de presse, Antonella, l’interprète et Anita, la responsable de la maison de distribution du film Viva Zapatero.

Sabina est à Paris pour la présentation de ce film.

Ce documentaire est un diagnostic impitoyable, sur le fil d’un humour lacérant (castigat ridendo mores), des conditions de liberté d’expression en Italie, foulée aux pieds par une classe dirigeante aussi ignorante qu’arrogante.

Une occasion unique, que nous du Collectif Bellaciao’ ne pouvions pas et ne voulions pas laisser échapper.

Le Collectif est représenté par Roberto, Federico, Bruno, Giustiniano, Salvo et Antonio.

L’interview se transforme en une conversation intéressante, sympathique et sans filet, entre nous, nomades d’un versant à l’autre des Alpes, et Sabine qui brandit haut le drapeau de la satire politique, plus indispensable que jamais dans une Italie momentanément dominée par l’inculture et par le racisme de la ligue lombarde, par l’intolérance et par la violence post-fasciste ainsi que par les tentations autoritaires d’un ramassis de malfaiteurs accompagnés d’une meute d’opportunistes et d’arrivistes.

Une Italie où l’opposition, après l’expérience insipide des gouvernements Dini, Prodi, D’Alema et Amato, a du mal à récupérer un profil crédible, esclave elle aussi du transformisme et de la tendance au compromis qui a fini par compromettre toute crédibilité face à un peuple qui n’a jamais cessé d’exprimer un fort engagement citoyen.

Le film de Sabina en est la preuve : à l’ostracisme de la part du pouvoir, cet ostracisme qui avait déjà frappé Biagi, Rossi, Santoro, Luttazzi et tant d’autres, l’opposition n’a pas su ou pas voulu s’y opposer, glissant du terrain de la lutte contre la censure à celui de l’évaluation de la "qualité" de la satire. Un marais dans lequel une bonne partie de la gauche a fini par couler en même temps que la droite la plus rustre.


Ecoutez l’interview ! (en italien) Téléchargez le mp3

Voir : la video 1, la video2 et la video 3

Roberto et Sabina

Bellaciao Disons tout de suite que nous ne sommes pas des journalistes au sens traditionnel du terme...

Sabina Vous êtes Internet. Bellaciao Nous sommes sur Internet et nous avons aussi un Collectif italo-français. Sabina Que faites-vous comme activité ? Bellaciao Nous tenons des réunions, nous traitons beaucoup du cinéma. Nous avons participé à la Commission Culturelle du Forum Social Européen 2003. Nous avons fondé, avec d’autres, la Coordination pour un autre cinéma, une organisation de cinéastes et de distributeurs alternatifs. Nous avons projeté 400 films durant le FSE. Nous avons retransmis à Paris ton émission contre la censure ORA BASTA. Sabina La première s’appelait VARIETA’ DI PROTESTA , puis ORA BASTA.

Antonio

Bellaciao Nous avons repris l’émission sur Internet, dans un bar, avec une centaine de spectateurs. Nous te suivons depuis longtemps. Nous avons participé à une
avant-première de Viva Zapatero à Bobigny, au Magic
Cinéma et il y en aura deux autres, demain soir et
lundi, dans d’autres espaces. Sabina Comment ça s’est passé ? Il n’y avait que des Italiens ? Bellaciao Plus de Français. Cela s’est très bien passé. C’est un cinéma qui attire peu de spectateurs quand on projette des films militants, par contre, pour Viva Zapatero, il y en avait 200. Il y a eu un débat qui a duré plus d’une heure. Sabina Qu’est-ce que vous avez dit ? Bellaciao Nous avons tout le temps parlé de toi, de ceux qui essaient de faire de la satire en Italie. La situation en Italie intéresse beaucoup. Les premières années, ici, ils étaient incrédules, maintenant ils commencent à nous croire. Sabina Nous aussi, nous étions incrédules. Bellaciao Maintenant, par contre, la chose intéresse, grâce aussi au travail que nous faisons en tant que site. De
plus, il y a ici un Ministre de l’Intérieur... Sabina con... Bellaciao ...très à droite. Le thème de la censure est un des thèmes d’intérêt commun entre la France et l’Italie. Nous insistons beaucoup sur ce thème parce que notre collectif est un collectif franco-italien qui essaie de faire passer de l’Italie à la France et vice-versa les points élevés du débat sur des thèmes variés. Le thème de la censure et de la liberté de la presse n’est pas secondaire et il ne concerne pas que l’Italie, compte tenu de la personnalité de Berlusconi, mais aussi les autres pays européens. Au débat, nous étions cinq, trois de Bellaciao et deux journalistes du journal de Bobigny. Nous avons remarqué que le film a été présenté comme une œuvre sur la liberté de la presse, ce qui n’est vrai qu’en partie. Le problème est celui de la liberté d’expression. Sabina Exact, c’est juste.

Bellaciao Le film touche à des aspects beaucoup plus larges de la politique du gouvernement Berlusconi et, de façon particulière, le rapport avec le pouvoir. Quand, dans le film, tu demandes à l’actuel président des DS (Démocrates de Gauche) de la Commission de surveillance RAI, Petruccioli, s’il s’agit ou non de censure, celui-ci cherche pendant de nombreuses secondes avant de commencer à répondre. Est-ce symptomatique ? Sabina Et comment donc ! Bellaciao Et il devrait être, théoriquement, l’un des représentants de l’opposition. D’ici quelques mois, ce seront les élections en Italie. Les Italiens résidents à l’étranger éliront pour la première fois des représentants au parlement. Il y a quelques jours, a eu lieu la présentation officielle de l’Union à Paris et nous avons posé la question. Sabina Quelle question ? Qui est venu ici ? Bellaciao Franceschini, comme grosse pointure de la Margherita et Fassino (secrétaire des DS) devait venir. Naturellement, c’était du bidon, classique ! au dernier moment, on a su que Fassino n’était pas là mais qu’il y avait un personnage mineur. Sabina Qui était-ce ? Bellaciao Un certain Morri Sabina Morri, des DS, c’est celui qui est dans le film et qui explique pourquoi ils n’ont pas fait la loi sur le conflit d’intérêts ! Bellaciao Nous avons posé notre question précisément là-dessus et ils nous ont répondu que la loi aurait été inutile parce qu’ensuite les autres l’auraient changée. La demande a surgi de l’assemblée : si vous gagnez les élections ferez-vous une loi sur le conflit d’intérêts ? Et comment se fait-il que vous ne l’ayez pas faite durant la législature précédente ? La réponse, assez hallucinante, il y a une semaine, bien après ton film donc, a été : oui, c’est vrai, nous nous
sommes trompés en ne faisant pas une loi sur le
conflit d’intérêts mais ce n’est pas une erreur grave parce que, somme toute, même si nous l’avions faite et comme l’Italie est un pays où les lois ne sont pas respectées, le gouvernement actuel ne l’aurait pas appliquée. Eventuellement, nous la ferons.

Sabina Si la loi avait existé, il aurait été inéligible. Mais vous leur en avez mis plein la gueule ? Bellaciao Et comment ! En fait, ils nous ont accusés d’être là pour faire du bordel. Ces gens-là pensent apprivoiser les gens, à Paris aussi en racontant ce qu’ils veulent. Ils sont allés jusqu’à faire une analyse de l’émigration italienne qui serait déjà vieille depuis quarante ans et donc hors du monde. Même si nous vivons en France, nous sommes reliés à l’Italie. Ils nous ont proposé toute une politique qui est liée au pouvoir, qui n’a rien à voir avec les gens, avec le mouvement, avec tes questions, qui passent au second plan, qui deviennent même un danger. Selon toi qui vis en Italie, au centre de cette contradiction sur la liberté d’expression, quelle est la différence entre la majorité actuelle et l’Union sur ce thème ? Y a-t-il une différence et laquelle ? Sabina Déjà, quand l’Olivier était au gouvernement, il y avait plus de liberté, bien qu’ils avaient maintenu le système de la répartition des charges publiques. Il n’y avait pas de censure aussi absurde. Il y avait sûrement des problèmes, il y avait les dirigeants DS qui appelaient pour dire cette info vous ne devez pas la donner, mais il y avait une négociation, ce n’étaient pas des ordres, il n’y avait pas d’arrogance, une ignorance aussi évidente. Les hommes politiques de droite sont vraiment des hommes politiques virtuels, ils ne viennent pas de la politique, c’est Berlusconi qui les a inventés en les payant et il a donné de la visibilité à des personnes qui ne l’auraient jamais conquise par leurs propres forces, qui sont contents d’être là et n’ont aucune culture qu’elle soit démocratique, générale, en histoire ou en géographie ou autre. Ce sont des personnes avec lesquelles on ne peut vraiment discuter de rien concrètement. De quoi parles-tu ? Je ne sais pas si vous regardez de temps en temps "Porta a porta". Bellaciao A petites doses Sabina Moi aussi. Le format est insupportable

Sabina

Bellaciao Que penses-tu du tripot d’état à la télévision tous les soirs ? Sabina Dans d’autres pays, ce n’est peut-être pas tous les soirs. Celui qui l’animait l’an dernier, c’était Bonolis, un homme capable dans son genre, même si le jeu est idiot. Mediaset l’a retiré de la RAI parce que cela faisait concurrence à "Striscia la notizia", l’émission satirique de Mediaset, triste chose, là aussi. Berlusconi soutient qu’il y a énormément de satire sur ses chaînes et que Striscia est le top de la satire, ce qui est absolument fou. Bellaciao Est-ce que tu as su ce qui s’était passé au Salon du Livre de Paris, il y a trois ans, avec Sgarbi qui disait que la culture est de la merde ? Il est arrivé avec Bono et nous l’avons gentiment accueilli. Sabina Oui. L’avez-vous sifflé ? Bravo. Bellaciao Chassé. On leur a fait perdre le travail. Ils ont filé par une porte dérobée, avec Claudia Cardinale qui les accompagnait, parce qu’ils ont eu l’impression que cela allait mal tourner pour eux. Bono disait stoïquement "nous résisterons". Quelques secondes et ils ont filé en courant. Sabina Comment ça fonctionne ici à Paris ? Quand les politiques jouent de sérieux et évidents tours de cochon, comment les gens réagissent-ils ? Bellaciao En Italie, on pense qu’il y a ici à Paris un fort mouvement. Nous, on est encore en train de le chercher : il n’y en a pas, au moins pas tel que nous le concevons en Italie. Les manifestations ne rassemblent pas les foules. 10 000 personnes, c’est déjà un chiffre exceptionnel. Historiquement, la conception est différente. Dernièrement, un réseau assez important s’est créé sur Internet : par exemple, nous avons mis sur notre site un article sur Sarkozy et nous avons eu 3000 visiteurs en un seul jour sur cet article mais le problème est la retombée sur le plan de la militance politique. Demain soir, il y a une autre avant-première, organisée par la FIDH, avec l’intervention du journaliste Karl Zéro. Sabina C’est vrai qu’une émission du type Big Brother a été arrêtée par des gens qui sont descendus manifester dans la rue ? Bellaciao C’était la Coordination des Intermittents du spectacle, dont nous faisons partie, qui avait organisé une occupation des studios de la télévision. Ils étaient quelques dizaines. Sabina C’est tout ? Mais ils ont réussi à bloquer l’émission. Bellaciao A ce moment là, oui. C’était une action qui n’était pas liée au problème de la liberté d’expression. Il y avait la lutte des intermittents du spectacle qui avait repéré comme forme de lutte l’interruption de quelques émissions : Star Academy et le journal télévisé de France2. C’était une lutte syndicale, qui n’était pas liée à un problème de liberté d’expression. Comment réagis-tu aujourd’hui à l’absence totale de la dite opposition ? On voit bien dans le film que personne ne prend ta défense. Sabina Pas ceux qui peuvent. Il y a eu des parlementaires courageux, les pauvres, le seul problème c’est qu’ils ne comptent pour rien, ou qu’ils sont deux. Bellaciao Dans ton film, il y en a beaucoup qui font comme les trois singes qui ne voient pas, n’entendent pas et ne parlent pas. Il y a même quelqu’un qui s’enfuit, le long d’un mur, il ne parle même pas et toi tu lui dis "mais quelle belle interview !" Sabina Il s’appelle Petroni. Bellaciao Comment vois-tu ce fait que l’opposition ne t’aide pas dans la perspective des élections d’ici cinq mois ? Nous sommes d’accord avec toi quand tu dis qu’il est préférable que Berlusconi s’en aille. As-tu la sensation que les choses changeront vraiment pour ce qui est de la liberté d’expression ? Sabina Moi, je pense que l’humanité, l’Occident en particulier, est en train de vivre une période très difficile. Une série d’idéologies, de principes se sont écroulés et doivent être remplacés par d’autres. La dernière idéologie qui doit définitivement s’écrouler est celle de la technologie et de la science. Cela nous semble très étrange de devoir recommencer à nous battre pour la liberté : en réalité, il n’y a jamais eu de trêve et la lutte n’a jamais été considérée comme un travail, nous sommes devenus un peu paresseux, gâteux, mentalement paralysés, c’est pourquoi tout nous semble être une énorme fatigue. Il en a toujours été ainsi. Le problème, c’est que nous avons vécu pendant plusieurs années avec l’impression que l’histoire s’était arrêtée, que nous vivions dans le meilleur des mondes possibles et que, de toute façon, pour n’importe quel problème, la science interviendrait en apportant de nouveaux aliments, la vie éternelle, la jeunesse éternelle, etc.... Ce n’était pas vrai, c’était une des nombreuses conneries auxquelles nous avons cru, au fil des années. Je crois que la chose importante, c’est de reconstruire une conception de la vie ou le combat soit perçu comme une chose positive, pas comme une chose qui se fait à chaque fois qu’il nous tombe une dent. C’est la vie elle-même, il faut se peiner pour tout. Le concept de peiner dans une société aussi consumériste, hédoniste est associé à la pauvreté, aux perdants, ceux qui sont à l’aise, qui gagnent sont ceux qui n’en foutent pas la rame. En réalité, cela n’a jamais été comme ça.

Giustiniano et Sabina

Bellaciao Est-ce que tu voudrais dire que dans le mouvement, nous commençons à avoir l’impression que la lutte est dure, pénible et qu’il est peut-être préférable de regarder la télé, s’amuser, sortir avec les filles ? Sabina Cela a été comme ça. Nous sommes en train de revenir à l’engagement, après tant de temps, c’est un retour à l’engagement après une période de reflux, dans les années ’80. Aux années ’70, la politique, c’était : des collectifs, de la verbosité, une impression d’oppression aussi, de ras-le-bol, l’idéologie "communiste", une conception plutôt lourde de la politique qui a heureusement été dépassée. Il y a eu une réaction à cela et à tant d’autres choses qui nous a tous amenés à être plus individualistes et à penser que, de toute façon, les choses marchent toutes seules, mais ce n’est pas vrai.

Federico

Bellaciao A propos d’idéologies, n’y en a-t-il pas une en expansion, l’idéologie catholique et religieuse ? En Italie, le concept de laïcité de l’Etat n’est pas très clair. On l’a bien vu lors du referendum sur la procréation assistée. Vu depuis la France, cela a vraiment été traumatique. Sabina Ce referendum était aussi une erreur, c’était idiot. Bellaciao On a voulu rendre les questions incompréhensibles. Sabina Combien de referendums faites-vous ici en France ? En Italie, les gens votent aux referendums quand il s’agit de questions vraiment fondamentales, qui concernent tout le monde. La procréation artificielle n’est pas un de ces thèmes. Bellaciao Disons que c’est aussi une contradiction qui a surgi à l’occasion de la présentation de l’Union, ici à Paris : il y avait un public d’Italiens, venus à cause de la nouvelle loi électorale. Ils ont saisi une distance remarquable entre la perception de la laïcité en France, où depuis 1905 existe une loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat... Sabina Chez nous, non... Bellaciao ...et la perception de la laïcité de la part du rassemblement de centre-gauche, pas de la part du peuple italien. Ils ont mis les représentants de l’Union face à cette question : vous, qu’avez-vous l’intention de faire dans le domaine de la laïcité ? Nous, nous avons eu une très mauvaise impression, ils nous ont dit clairement qu’ils n’avaient pas l’intention de risquer de perdre des voix en avançant un objectif net, précis et décidé sur le thème de la laïcité de l’Etat. Et toi, qu’est-ce que tu en dis ? Sabina Avec la nouvelle loi électorale proportionnelle, il y aura aussi un retour au clientélisme. On continue à donner de plus en plus de pouvoir à l’Eglise. Dans les journaux télévisés, il y a dix minutes par jour où l’on parle du pape, de cardinaux dont personne ne connaissait le nom il y a encore quelques années. Aujourd’hui, nous en connaissons au moins sept ou huit et nous savons ce qu’ils pensent, même si on devrait s’en ficher complètement. Bellaciao La bataille sur la liberté d’expression n’est pas nouvelle. Il y a deux jours, c’était l’anniversaire du massacre de Piazza Fontana, un énorme travail s’est conclu ces années-là par un livre-enquête : le massacre d’Etat. A l’époque aussi, on cherchait à contrôler et à canaliser l’information et à l’époque aussi, ce fut
le mouvement qui fit un gros travail de contre information. Comme tu le disais, c’est le travail de chaque jour, il ne se limite pas à la période du gouvernement Berlusconi, qui est, à la limite, la pire expression de l’histoire actuelle de l’Italie. Nous pouvons même prévoir pire. Comment peut-on imaginer que les professionnels de l’information se rassemblent pour défendre la liberté d’expression, abandonnant leur esprit corporatif que nous retrouvons souvent, même dans les débats que nous avons tenus ici en France ? La preuve en est qu’ici aussi on tend à défendre la liberté de la presse comme si elle était séparée de la liberté d’expression. Comment pourrions-nous renverser cette barrière que nous-mêmes avons érigée, quand l’ennemi est le même pour tous ? Sabina Pour la liberté d’expression,je pense que dénoncer, faire de la satire, ce travail que vous faites sur Internet est l’unique chose que l’on puisse faire, car l’unique forme de pression que l’on puisse faire sur les journalistes est de les démentir. Quand les gens ne te font plus confiance et cherchent ailleurs les informations, tu dois te poser le problème en tant que journaliste et aussi en tant que corporation. La démocratie est une question de poids et de contrepoids, un processus continu, une question de rapport de forces. On peut discuter sur ce qu’est la force. Il n’est pas vrai que la force soit l’argent, cela dépend de la façon dont tu construis ta vie. Par exemple, j’aurais sûrement pu gagner beaucoup plus : mais j’ai choisi autre chose et ce que j’ai choisi peut être beaucoup plus puissant. Il faut avoir un peu de sagesse, étudier, lire, ne pas se faire manipuler. Si l’on continue à mener la bataille, les batailles finissent par amener à des résultats. Cela doit devenir un plaisir et ç’en est un. Bellaciao En effet, nous croyons que la politique est belle quand on en fait avec le sourire... Une autre question : beaucoup de Français me disent que ce que faisait la Guzzanti est la même chose que ce qu’a fait Celentano. Quelle est la différence et pourquoi lui a-t-il pu ?

Sabina - Bleu Blanc Rage

Sabina Celentano a fait un programme de musique, dans le premier numéro, il a dit des choses provocatrices sur Rai 1, cela a été important, courageux. Cela a aussi été une opération médiatique permettant de dire, vous voyez, il y a une liberté, s’il y a eu des problèmes, c’est fini, c’est ainsi que l’ont présenté les journalistes de gauche, aussi. Après quoi Celentano a fait seulement quatre numéros, les journaux télévisés n’ont pas changé pour autant. Moi, j’ai été son invitée au dernier numéro. Cela a été terrible, on m’a contredit sur tout ce que j’aurais voulu dire. Il n’y a aucune liberté, ce n’est pas vrai. Tu ne peux pas vraiment dire les choses. Ce qu’a dit Celentano, c’est ce que j’avais déjà dit dans le film. Bellaciao Il n’y avait rien d’original. Sabina Ce qu’il y avait d’original c’est que 15 millions de personnes l’ont su, 15 millions de personnes auprès de qui le film n’arrive pas de toute façon. Bellaciao En tout cas, ils se sont mis d’accord avec toi sur ce que tu dirais pendant ce numéro Sabina J’ai eu un tas de problèmes : ils m’ont invitée en me disant ne t’inquiète pas, ici c’est la liberté absolue, les dirigeants de la Rai ne sont pas là. Je suis arrivée là-bas et il y en avait trois avec de sales gueules... Bellaciao Il n’y avait pas Petruccioli ? Sabina Non de droite, de droite. Il y avait un bon mot sur Andreotti, par exemple. En tout cas, mon numéro se termine et il y aurait dû avoir ensuite l’interview. Celentano a dit quelque chose d’un peu con, je lui ai répondu, ils ont haussé le volume de la musique et m’ont jetée dehors sans faire l’interview, ce n’est donc pas vrai qu’il y ait la liberté. Je ne veux pas dire par là que Celentano n’a pas été fort, que cela n’a pas été important. Bellaciao Le film en Italie a été très bien accueilli à Venise, qu’est-ce que cela donne à présent ? Sabina Il a été en salle pendant trois mois, un miracle, cela n’était jamais arrivé. En général les films italiens se portent très mal, les documentaires ne passent pas en salle, ils n’ont pas eu de succès (à part Michael Moore), personne n’y croyait, par contre un film qui n’a rien coûté a même fait une excellente recette. Il est à présent sorti en DVD et 100 000 exemplaires se sont vendus en deux semaines, des tas de gens le verront. Bellaciao Nous avons un Collectif Bellaciao à Manchester en Angleterre et un à Cordoba, en Argentine. Penses-tu que le film sortira en Angleterre et en Argentine ? Sabina En Angleterre, ils ne l’ont pas encore pris, cela semble être un marché très fermé, il est peu probable qu’il passe en salle. En Argentine, c’est un marché qui n’existe pas du point de vue de la distribution, la distribution n’a aucun intérêt à l’y envoyer mais le DVD peut y arriver. Bellaciao Tu fais uniquement une distribution classique ou tu es prête à faire aussi, ou à faire faire, des projections militantes ? En Angleterre, à Manchester ils ont envie de le faire. Sabina Cela se fait en Italie, en Angleterre, ils n’ont qu’à le faire avec le DVD.

Sabina

Bellaciao As-tu l’intention de faire un tour international ? Sabina Nous sommes allés en Espagne, puis nous irons en Belgique, en Hollande, à Genève, en Scandinavie. On nous a invités à Sundance, aux Etats-Unis. Je voudrais aussi recommencer à travailler... Bellaciao Nous devons arrêter à présent, nous te disons au revoir, nous participerons le plus possible aux débats et nous organiserons des projections. Sabina Bravo ; moi aussi j’ai un site, un blog. www.sabinaguzzanti.it On échangera nos liens. Bellaciao Oui, nous le connaissons, nous mettrons le lien sur notre site. Sabina Nous nous battrons pour la loi, pour faire une réforme du système des nominations à la commission de surveillance de la RAI. Bellaciao Bien sûr, nous aurons l’occasion d’en reparler. Sabina Nous publierons la proposition de réforme sur le site, nous recueillerons les signatures. Bellaciao Nous, nous ferons un comité de soutien. Sabina Ici aussi, il y a des batailles sur la liberté d’expression et il me semble, en parlant avec les journalistes, qu’on ressent aussi le problème. On ne sait jamais, ce film peut aussi servir à sonner le réveil. Bellaciao Ici, par exemple, le frère du Ministre de l’Intérieur Sarkozy, probable candidat de la droite aux prochaines présidentielles, qui est le numéro 2 du MEDEF, contrôle la presse, la télé. Devait sortir une biographie de Sarkozy ministre, qui évoquait ses problèmes personnels : le pouvoir du ministre est tel qu’un livre qui était prêt à sortir en librairie a été bloqué, chose hyper difficile... Bon, maintenant, il faut vraiment qu’on te quitte... Sabina Restons en contact et Sarkozy, si vous le pouvez, arrêtez-le tant qu’il est petit. Bellaciao Merci, ciao Sabina Sabina Merci à vous, vraiment, bravo, félicitations !